jeudi 13 mai 2010

Orient Express N° 4

ORIENT EXPRESS
N° 4
Un train, des retrouvailles.

« Premier service dans quinze minutes »
C’est le signal. C’est la consigne. Je dois « regardez le paysage et attendre ». Je ne devais pas aller dîner, j’ai respecté la demande, qui ne précisait pas que je ne devais pas quitter ma cabine. Mais il me faut maintenant, tout de suite, la rejoindre. D’un bond je suis sur pieds, tentant maladroitement de rajuster mes vêtements. Ma jupe retombe, et ce n’est qu’alors que je me rends compte que malgré le traitement qu’il a réservé à mon cul il n’a même pas faut sauter les jarretelles. Je remets vaille que vaille mes seins dans leur écrin de soie noire. Les mamelons sont encore durs et douloureux d’avoir été malmenés. Et dans ma précipitation, j’ai du mal à remettre en place correctement mes deux globes qui débordent et pigeonnes grotesquement. J’essaye de le cacher en ramenant les pans de mon chemisier et j’entreprends de le reboutonner. Mais mes mains tremblent, mes gestes sont mal assurés. C’est alors qu’il me tend un peignoir rouge foncé, le même que celui que j’ai vu pendu dans la salle d’eau de ma cabine. Galamment il me le présente pour que je l’enfile en disant seulement : « Mettez cela et filez ! » Avant que j’ai pu répondre il m’a déjà quasiment poussé dans le couloir. Ce n’est qu’arrivée à ma propre cabine, que je me souviendrais que mon inconnu ne m’a pas rendu ma culotte. Et c’est plus tard encore que je me souviendrais qu’alors que j’étais déjà hors du compartiment il avait ajouté « Allez vite, ne soyez pas en retard ».J’ai en effet fait le chemin de retour aussi vite que je le pouvais. Le peignoir ramené sur ma poitrine et les pieds nus. Ce n’est aussi qu’arrivée « chez moi » que je m’en rendrait compte, mais il sera trop tard pour retourner chercher mes chaussures et, du reste il ne pouvait être question ni de traverser encore une fois ce couloir où j’ai croisé deux couples qui se rendaient au wagon – restaurant et qui ont du se demander quelle était cette folle qui se baladait en peignoir de bain alors que chaque cabine dispose de ses propres commodités, ni surtout de ressortir de ce lieu qui m’apparut alors comme un refuge.
« Bienvenue dans ce train des mystères, belle dame. N’allez pas dîner seule. Quand vous entendrez le steward annoncer le premier service, allez à la fenêtre, regardez le paysage et attendez… »
Je connais les termes des consignes par cœur, et pourtant je veux les relire avant de passer me rafraîchir et me rhabiller correctement. Je prends la feuille laissée à sa place, je la déplie, et je lis, stupéfaite :
«, Allez à la fenêtre, regardez le paysage et attendez…, faite le tout de suite, sans rien changer. »
Les mots « tout de suite » sont soulignés. Ce n’est pas le papier de tout à l’heure. Quelqu’un – lui ? – est donc entrée dans ma cabine pendant mon absence. Mais que signifie ce « sans rien changer » ? Je me précipite vers la salle d’eau, il faut quand même bien que je recoiffe un minimum mes cheveux qui pendent autour de mon visage, que je mette un peu d’eau sur celui-ci, et surtout que je rafraichisse et nettoie ce qui a été forcé, sublimé certes, mais aussi souillé par mon inconnu. Je sens l’onctuosité collante de sa liqueur entre mes fesses. Et je sais que l’intérieur de mes cuisses doit être marqué des traînées de sperme comme une feuille par celles d’un escargot. Les mots, vulgaires, s’imposent à mon esprit : « il faut que je me rafraichisse le cul ! » Je me débarrasse du peignoir que je laisse tomber sur le sol et j’ouvre la minuscule porte du cabinet de toilette. Mais au moment d’ouvrir le robinet, alors que je découvre dans le miroir mon visage congestionné et hagard et mes seins qui débordent en désordre de mon soutif, je vois, posé contre le robinet en laiton une autre feuille de papier avec ces mots en majuscules :
« SANS RIEN CHANGER ! »
Le message est clair, limpide même, évident. Pas le temps de réfléchir, de me demander comment « il » a pu savoir que j’aurais quelques chose à changer. A vrai dire ni le temps ni la capacité de réfléchir à quo que se soit. Vite, maintenant, tout de suite, « aller à la fenêtre et regarder le paysage », rien d’autre à faire. Et je le fais, hagarde, obéissante au-delà du raisonable. Mais ne suis-je pas au-delà de la raison depuis que j’ai admis l’idée même de prendre ce train ? Et me voici donc le front contre la vitre froide, qui réfléchit mon image incertaine. Une femme dépenaillée, dépoitraillée, hirsute. Mes cheveux collés par la sueur contre mon front, les seins à moitié sortis de leur protection, le cul que je sais nu sous la jupe fripée, la raie du cul que je sens poisseuse du jus d’un inconnu. Le paysage a quasiment disparu dans la nuit qui tombe. Par instant des éclairs de lumière crue, de passages à niveau éclairés, des gares désertes. Par instant le tumulte d’un train qui croise le notre, dans un effrayant rugissement sifflant. Puis, brusquement, c’est l’absorption par le trou noir d’un tunnel. Pendant quelques instants, la vitre devient vraiment miroir. Le décor de ce compartiment apparaît dans tout son luxueux décor, sa distinction surannée et quelque peu guindée. Bois précieux, laiton ou cuivre brillant, verre dépolis décorés façon Arts Déco. Un monde du luxe, du bon gout, de la bienséance. Et puis une femme à demi nue, comme une tâche, comme déplacée, comme provocation. Quelle image doivent en avoir ceux qui, sur le quai des gares que nous traversons d’un trait ou qui attendent que la barrière du passage à niveau s’ouvre ? Un éclair de lumières brutales, succession de carrés éclairés et de carrés noirs des compartiments où l’on a baissé les stores. Sorte de cinéma en accéléré, avec, comme une image furtive dont on se demande si elle a existé ou si elle n’est qu’un effet de notre imagination, un fantasme, le haut du corps d’une femme, impudique, dénudée, peau blanche barré d’un soutien gorge noir incapable de contenir une poitrine qu’on a à peine le temps de deviner tellement généreuse que l’image est déjà disparue depuis longtemps. Je suis comme au centre d’une bulle lancée à une vitesse incommensurable dans un univers pétrifié. Comme si ce train qui m’emmène était le seul lieu du vivant dans un monde mort, désert, hors du temps. Combien de temps suis-je restée ainsi, sentant peu à peu le froid qui sourd de la vitre se transmettre à mon visage, à mes épaules, à ma poitrine, à mon ventre. La nuit est devenue plus noire. Par comparaison, l’éclairage de la cabine semble être plus lumineux. Plus la nuit tombe, plus elle devient ténèbres, moins la réalité extérieure reste visible, et lus ma propre image devient nette par son reflet dans la vitre. Le bruit de la portière qui s’ouvre. Est-ce le contrôleur, le chef de rang, un voyageur qui se trompe de compartiment ? Ou est-ce « lui ». Bien sur qu’il faut que je me retourne, mais alors je présenterais inévitablement cette poitrine découverte, obscène, provocante. Bien sur qu’il faut que je sache qui est là. Bien sur. Et pourtant je ne bouge pas, je ne me retourne pas, je de tourne même pas la tête. Il me suffirait de me déplacer un tout petit peu pour voir qui est entré dans le reflet de la vitre. Pourtant non seulement je ne bouge pas, mais je ferme les yeux. Sur la moquette profonde qui couvre le sol, les quelques pas que celui qui vient d’entrer doit faire n’ont fait aucun bruit. J’ai cependant entendu la porte se refermer. Est-il sorti, est-il resté ? A peine ai-je eu le temps de me le demander que deux mains se sont posées sur mes épaules, répondant à la question. Je suis donc seule avec un homme, avec « lui » peut-être - mais comment en être sure ? – dans un espace réduit, isolé de l’environnement par sa fermeture et par le bruit lancinant du train. Les mains agrippent l’échancrure de mon chemisier et d’un seul geste, brusque, brutal, violent, elles en écartent les pans. Un bouton saute, le tissus craque, se déchire, s’arrache. Mes bras son ramenés vers l’arrière, prisonniers du vêtement Un cri d’étonnement, peut-être de peur, m’a échappé. J’ai ouvert les yeux. Je sais maintenant que c’est bien « lui ». Dois-je en être rassuré ? Que sais-je vraiment de lui, de ce qu’il me veut, aujourd’hui, ici ? Il arrache complètement mon chemisier, et le jette sur la banquette. Il dégrafe mon soutif qui prend le même chemin. La fermeture éclair de ma jupe coulisse, et la jupe tombe au sol. Ma voilà nue, à l’exception des jarretelles et des bas. Je me sais au-delà de l‘indécence. Je sais que l’image furtive mais tellement réaliste d’une femme dénudée doit apparaître dans la lumière crue de ce train à ceux qui sont dans l’autre monde, celui des immobiles. J’ai failli perdre l’équilibre au moment où le train amorçait une courbe et se penchait. « Il » m’a saisi les poignets, me maintenant debout. « Il » relève mes bras, au dessus de ma tête, faisant ainsi plus encore ressortir mes seins. « Il » amène mes mains jusqu’à la barre de fer au dessus de la fenêtre. D’instinct je m’y agrippe, comme si je m’y suspendais. Pour ce faire je dois monter sur la pointe des pieds, ce qui va rendre la position plus inconfortable. Ses mains, incroyablement douces, descendent le long de mes bras. La pulpe de ses doigts caresse l’intérieur de mes poignets, l’intérieur de mes bras, le creux de mes aisselles, les cotés de mes seins, de on ventre, mes hanches pleines, l’arrondi en guitare de mon fondement, mes cuisses, mes genoux, mes mollets, jusqu’à mes pieds nus. Quand les doigts atteignent la plante des pieds, la décharge électrique qui parcourt tout mon corps manque de me faire lâcher prise. Mes reins se creusent, mes muscles se tétanisent, mais je parviens à rester accrochée à cette barre de métal froid et dur. Et déjà les mains ont repris leur voyage, en remontant cette fois. Par l’arrière du tendon d’Achille, le gras du mollet rond, l’intérieur des cuisses. Elles remontent, elles approchent de cette zone échauffée, brûlante, moite et poisseuse. Les doigts vont accéder à mes fesses. Vont-ils s’égarer sur elles, voyager sur cette lune ronde, pleine et opulente ? Vont-ils se contenter d’en dessiner les contours ? Ou bien vont-ils choisir de s’insérer dans le canyon qui sépare les hémisphères ? Vont-ils s’enfoncer dans mon antre tiède et ruisselante ou au la négliger pour violer à nouveau le trou encore douloureux de ce qu’il a connu précédemment ? Les images de pénétrations se mélangent dans ma tête. Je ne sais pas si j’espère ou si je crains la percussion de ces doigts. Et soudain, c’est une explosion, une déflagration, un tsunami.

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